La scène est tout à fait ordinaire. Par une chaude après-midi d’été, une famille comme les autres se désaltère à la terrasse d’un café. Les deux filles 8 et 5 ans boivent à la paille leur grenadine. La plus jeune s’amuse tranquillement à faire des bulles en soufflant dans son verre presque vide pendant que ses parents pestent contre la lenteur du service et la chaleur de l’air. Puis, la petite renverse un peu d’eau sur la table, le père lui fait les gros yeux, des gros yeux bien sévères et bien cassants où l’humour et le plaisir ne sont pas les bienvenus.
Le père se lève quelques minutes, la petite continue son jeu amusant, les bulles débordent, c’est tellement rigolo.

La mère s’agace : « Mais c’est pas possible! Il y en a partout! »

Et vlan! Une grosse tape sur les fesses, comme pour mieux se faire comprendre. « Va demander une éponge pour essuyer tes bêtises! » lui ordonne-t-elle sèchement. La petite s’exécute et part vers l’intérieur du café, sans la moindre idée ni de ce qu’elle doit faire, ni de comment s’y prendre. Elle tente à plusieurs reprises de revenir à la table, mais sa mère l’arrête par un: « Je ne veux pas te revoir les mains vides! File chercher une éponge! Dépêche-toi! »

La petite repart, hésitante, sans savoir à qui demander de l’aide. « J’en ai marre, moi! » lâche la mère à la grande qui n’a pas fait un geste pour aider sa sœur, trop contente sans doute que, pour une fois, ça ne tombe pas sur elle.

Le père revient: « Qu’est-ce qui se passe? » « Elle a fait des bulles! » s’exaspère la mère, aussi horrifiée que si elle avait dit:  « Elle vient de tuer quelqu’un! ». La petite revient encore et encore et se fait renvoyer de plus en plus durement à chaque fois. Finalement le serveur arrive et la petite le regarde fixement avec ses petits yeux d’enfant qui voudraient pouvoir dire tant de chose sans un mot.

  • « Qu’est-ce que tu veux, ma grande? » lui demande-t-il gentiment, en se mettant à sa hauteur.
  • « Je voudrais…. votre éponge s’il vous plait » arrive-t-elle enfin à articuler tout doucement.
  • « Ah, tu as fait des bêtises… » lui répond-t-il avec un sourire tout en essuyant d’un geste expert la table en un instant.

    La mère se lève, fière de l’efficacité de son mode éducationnel,sans un regard pour sa progéniture, ni un quelconque signe d’approbation. Debout, la différence de taille est encore plus flagrante, sa -toute petite- fille la suit sans un mot.

Pourquoi donner une paille à un enfant s’il n’a pas le droit de s’en servir? Pourquoi amener les enfants dans un café, s’ils doivent se comporter comme des objets? Pourquoi tant de sévérité, de sarcasme et d’humiliation pour un peu d’eau sur une table? Pourquoi tant d’agacement et de lassitude dans les yeux de ces parents ordinaires? Ils ne sont pas méchants, ils ne sont pas sans cœur, ils aiment leurs enfants, surement, enfin j’imagine. Quelle place dans cette enfance pour le jeu et le plaisir? Quelle place dans ce moment partagé pour l’humour, la fantaisie, la gaieté?

Savent-ils, ces parents ordinaires, qu’ils tiennent dans leurs mains, l’avenir du monde?… Combien de ces enfants ordinaires devenus grands remplissent des cabinets de psys pour calmer leurs angoisses, leur manque de confiance en eux, l’impression de ne jamais être à la hauteur? Et combien n’en ont même pas l’idée, ni la possibilité?

Bien sûr, c’est facile. Facile de prendre du recul quand on n’a pas le nez dedans. Bien sûr les enfants, ça demande de l’attention, du temps, de l’énergie et ce n’est pas toujours évident de garder son calme quand on est fatigué, stressé ou déprimé.

Et si l’avenir de l’humanité tenait à la façon dont on réagit à un peu d’eau renversée sur une table?

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